La forteresse et le galion - Géopolitique du digital


Le 24 avril 2016



« Puissiez-vous vivre des temps intéressants ? »

Une définition du digital ?

Proposons que la transformation digitale consiste en « l’ajustement des modèles d’affaires avec la technologie pour améliorer l’expérience client sur chacun de ses points de contact. »

Comment appréhender l’irruption du digital dans notre monde, dans quelle logique s’inscrit-il ? Existe-t-il une « géopolitique » du digital, c’est à dire une théorie de la manière dont le numérique a surgi et modifié les façons de fonctionner de notre monde ?

Heartland vs Sealand

Aux origines de la géopolitique, nous trouvons deux courants avec des visions antagonistes, celui de l’Allemagne et celui de l’Angleterre : le Heartland et le Sealand. La géopolitique de la terre et celle de la mer. Comment ces pensées prennent forme aujourd'hui à l'heure de la digitalisation du monde ? Et si la digitalisation du monde n’était qu’une extension de la logique de la mer ?

Le Heartland, c’est la conviction que le contrôle du cœur du monde, initialement le cœur de l’Europe, autorise sa domination. Le cœur du monde est alors vu comme un point de puissance dont la maitrise assure (modif) son influence.

« Qui contrôle le cœur du monde commande à l’île du monde, qui contrôle l’île du monde commande au monde »

C’est la place forte qui assurera le contrôle du territoire. C’est la logique de la forteresse.

Le Sealand se construit avec l’émergence de la puissance maritime et la conviction que la maîtrise des accès au cœur du monde donnera le contrôle à ce dernier, et de fait au monde. Les accès aux ressources doivent être contrôlés et ceci assure son influence.

« Qui tient la mer commande à l’île du monde, qui contrôle l’île du monde commande au monde »

C’est le navire marchand prospère qui relie les villes et leur apporte richesse. C’est la logique du galion.

L’histoire fourmille d’exemples dans lesquels des stratégies bâties sur la logique d’accès aux ressource et donc au mouvement ont permis de prendre le dessus sur des stratégies de positions. Le principal s’incarne dans la puissance britannique et sa prise des mers. Nous pouvons également citer l’Espagne et le Portugal se partageant le monde au XVIème siècle. Enfin c’est cette géopolitique de la mer que les Etats-Unis appliqueront pour asseoir leur puissance face à l’ex bloc russe ancré dans une logique de forteresse eurasienne.

A travers une série d’articles, j’ai cherché à appliquer et développer cette grille de lecture dans l’environnement qui est le notre. D’abord à un niveau macroscopique avec deux lectures respectives de l’histoire IT et bancaires afin de montrer l’émergence progressive de ces nouvelles logiques. Puis sur un terrain plus pragmatique avec les enjeux se posant au DSI face à la digitalisation de son entreprise mais également au manager face à la transformation de son métier et de ses équipes.

Heartland is no more

Premier point, la révolution digitale qui anime tant de discussions s’incarne comme un basculement de logique autour de la ressource. Elle relève d’un changement de paradigme tel qu’il y a pu en avoir dans l’histoire (par exemple, le basculement du monde de la zone atlantique vers la zone pacifique). D’une logique de contrôle direct de la ressource proprement dit, nous sommes passés à l’importance de la maîtrise de l’accès à cette ressource.

Google incarne pleinement cette stratégie de pensée : l’important n’est pas le contrôle des serveurs mais la capacité à adresser les données, à avoir la maîtrise des routes vers l’information, à créer les voies les plus efficaces pour accéder à la ressource et à vendre cette capacité.

Le digital n’est pas une stratégie

Second point, la grande confusion entre l’efficacité opérationnelle et la stratégie d’entreprise. La révolution digitale n’est pas une stratégie, elle participe d’une efficacité opérationnelle de l’entreprise : mieux connaître ses clients, mieux piloter ses ressources, mieux manager ses hommes.

>De la même façon que dans les années 80, les industries automobiles européennes découvrirent l’efficacité opérationnelles de leurs homologues asiatiques (les notions de qualités totales etc.), nos industries découvrent désormais d’autres méthodes de fonctionnement auprès des licornes de l’internet.

C’est un point important, la transformation digitale apporte beaucoup en termes d’efficacité et de puissance de développement business mais elle ne se substitue pas à une réflexion et à une vision développée autour de l’entreprise et de ses ressources et richesses. A la façon dont ses ressources sont accédées, sécurisées et distribuées.

Si Google est un bel exemple de succès c’est en premier lieu par sa capacité à adresser correctement les recherches de l’utilisateur, puis ensuite à les monétiser puis à renforcer cette manne par l’ajout de services supplémentaires le légitimant d’autant plus dans la pertinence de ses services.

Si Uber ou AirBnB se développent aussi rapidement, c’est bien par leur capacité à avoir trouver un nouveau gisement (les conducteurs ou les chambres), à permettre d’y accéder simplement et à sécuriser cet « approvisionnement » … Le digital de par son efficacité opérationnelle abaisse les « barrières à l’entrée » autant qu’il accélère le développement mais il ne demeure que le moyen d’une stratégie finement pensée.

DSI en mutation

Dernier point, les DSI pratiquent depuis quelques dizaines d’années la pratique du changement. Qu’on songe aux évolutions techniques de ces trente dernières années et on pourra comprendre le sourire du DSI à qui le monde explique la déferlante de la révolution digitale : nombreux ont connu l’ebcdic sous 3270 et pratiquent désormais l’utf-8 sous docker…

Fort de leur expérience en gestion de la transformation, ils ont l’opportunité d’être les ambassadeurs du changement et doivent se réinventer pour faire cœur avec ces nouvelles stratégies de pensées : gouvernance des données, agilité du système d’information, indépendance des utilisateurs et sensibilité au métier de l’entreprise. Jamais la technique n’a été aussi présente, jamais la tentation de traiter hors des DSI n’a été aussi grande. Et pourtant, sans une DSI fortement ancrée dans le métier de l'entrerpise et l’innovation, une majorité des actuelles « success story » n’auraient pas vu le jour.

Et la géopolitique du digital alors ?

C’est comprendre que la logique d’accès à la ressource, à la richesse, a définitivement basculée vers la pensée « maritime ». L’important n’est pas tant la possession de la ressource que le contrôle de son accès. Et ce basculement s’applique sur de nombreux domaines !

Dans le domaine des entreprises bancaires et technologiques, c’est l’émergence de nouveaux acteurs bousculant des entreprises solidement implantées, des forteresses qui semblaient avoir tous les atouts en main.

En informatique, c’est le passage de la logique serveur et logiciel à internet et aux données. Le logiciel, le serveur ne fait plus la richesse d’une entreprise, c’est sa capacité à adresser correctement les services, les données qui génère sa valeur ajoutée.

En gestion de projet et management, c’est désormais l’adoption des méthodes agiles basées sur la communication, le collaboratif et l’échange plutôt que les fonctionnements en silo et les distinctions de non-sens (MOA/MOE - Marketing/Commerce)

Dans la création de valeur, c’est identifier les chemins et les points de distribution menant au service ou au produit et s’y positionner. Petit exercice, à l'heure où de nombreuses solutions de paiement émergent et cherchent leur place, comment ré-imaginer son modèle d'affaire pour éviter . En plaçant votre solution en amont du parcours client par l'adjonction d'options qui orienteront et capteront l'utilisateur.

Vers la ressource mobile

Ce à quoi nous assistons, c’est finalement l’émergence puis l’accélération d’un mouvement global de la valeur vers ce que je nommerai la « ressource mobile ». Les ressources sur lesquelles les entreprises bâtissaient leur modèle ne sont plus statiques et ancrées dans la permanence, elles deviennent changeantes. Là encore, prenons AirBnB qui a remodelé la ressource en termes d’hébergement jusqu’à faire jeu égale avec des groupes bien établis.

La manière d‘identifier, puis d’accéder et de contrôler cette « ressource mobile » devient le nouvel enjeu.

Ce mouvement de redistribution des cartes peut être contrebalancé par l’innovation, érigée en tant que stratégie, pour ne reprendre qu’un exemple, celui d’Apple.

Je vous donne rendez-vous pour de prochains articles à paraître bientôt sur des thématiques similaires :

  • La digitalisation du monde - D’IBM à Facebook
  • Le syndrome de la grenouille - Des banques aux blockchains
  • L’acrobate et la sentinelle - Petit guide de l’agilité en milieu hostile
  • DSI - La tentation de la forteresse
  • Et la mer était bleu - Agilité du SI & Gouvernance des données

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