Le syndrôme de la grenouille - Des banques aux blockchains


Le 21 mai 2016



« La peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduite à l’oblitération totale » - Dune

Précédemment…

Dans mon post précédent, je concluais un rapide panorama des trente dernières années du monde IT et de leur irruption dans le monde réel par une classification de différentes typologies de société.

Je vais ici approfondir une idée évoquée précédemment : l’illusion de la forteresse comme un réel handicap à appréhender le changement et les opportunités de marché.

Once upon a time…

Au début des années 1980, l’industrie bancaire est au fait de sa puissance, c’est l’archétype de la « citadelle ». Elle maitrise sa chaine de valeur dans sa globalité : elle est en prise avec ces clients, elle finance l’économie du particulier à l’état en passant par les entreprises.

Les règlementations s’assouplissent, c’est l’époque de la libéralisation, des grandes manœuvres, des nouveaux produits, des amorces de concentration. Ces stratégies de regroupement et du toujours « plus » participent d’une vision « Forteresse » de leur activité, bâtir la plus grande place-forte et laisser peu de place à ses concurrents.

Comment alors d’une situation ultra-dominante, ces fleurons en sont arrivés à être « marginalisés » dans le monde digital et à finalement se sentir en danger ? Les banques ne sont-elles pas en train de devenir de simples organes de contrôles tout en perdant leur connaissance client ?

Le géant qui avait peur

Deux raisons ont participé à ce mouvement de lente érosion. Elles sont paradoxalement contradictoires :

La première est liée directement à la position de domination de cette industrie. C’est la conviction ancrée au plus profond de soi que la citadelle bancaire est inattaquable et là pour durer. C’est factuel. Il n’y a qu’à voire la capacité de rebond de ces établissements lors de pertes exceptionnelles (fraudes, dépréciation de filiales, etc.) pour s’en convaincre. Cette vision ethno-centrée pourrait se résumer à un « Nous, les banques… ».

La seconde raison est plus étonnante mais très compréhensible, la peur du risque.

C’est le leitmotiv de cette industrie marquée par les crises financières plus ou moins grandes qui ont jalonné le siècle dernier mais également celui-ci. Dans ce contexte de crainte de la crise permanente, la prudence est de mise. D’autant plus que la puissance est là.

Toutefois, les emballements spéculatifs de certains acteurs (citons la tristement célèbre crise des subprimes) au-delà de toute mesure avec comme conséquence leur disparition et la conviction pour les survivants que le risque est nuisible.

Dans ce contexte du géant inquiet dans sa citadelle, comment gérer l’innovation, la prise de risque ? En déléguant la nouveauté auprès d’autres acteurs.

CB m’était conté

Le premier jalon concorde avec l’apparition puis l’explosion des cartes de paiements dont la gestion sera confiée à différentes sociétés telles que Visa ou Mastercard par exemple. En France, cela sera tempéré par le GIE Carte Bancaire permettant la compatibilité des différents réseaux de cartes sans toutefois changer fondamentalement la donne.

Dans notre vision « géopolitique » de la terre et de la mer, c’est une erreur. Vous déléguez à un tiers l’accès à une de vos ressources clefs. Vous autorisez non seulement cet acteur à valoriser cette richesse, mais en plus vous lui permettez de jouer pleinement les intermédiaires auprès de vos clients.

Combien de personnes pensent spontanément à leur banque en regardant une publicité Visa ? En revanche, combien ces mêmes personnes sont intéressées non pas par la santé de leur compte mais par la couleur de leur carte (gold, platinum, indigo, black, etc.) Où est la valeur de la perception cliente, de la marque ?

Geeks can dance

Une quinzaine d’années plus tard, internet commence son ascension et avec lui l’e-Commerce. Les premiers « PSP » se mettent en place dont la majorité ne seront pas affiliés aux banques. C’est également l’apparition de Paypal et la création du premier « wallet » qui sera une source sans fin d’inspiration. Malheureusement, nombreux seront les copieurs qui confondront le moyen (le compte) et la finalité (pour faire quoi ?)

Ce sera également la montée en puissance de solution à destination du commerce physique telle que Atos Worldline, spécialisée dans les moyens de paiements physiques et électroniques. Là encore, les banques y perdront une part de leur connaissance vis à vis des professionnels.

A partir de là tout sera en place pour favoriser l’explosion des « Fin Tech » auquel nous assistons depuis quelques années.

C’est grave docteur ?

Bien entendu, le moyen de paiement n’est pas le métier des banques. De même que le logiciel d’exploitation n’était pas le métier d’IBM dans les années 80… Ce lent mouvement de transfert de services « annexes » aura comme conséquence deux effets qui vont aller en s’amplifiant :

  • La perte du lien avec son client, lien établi avec de nouveaux acteurs
  • L’exploitation par un tiers de sa chaîne de valeur là où l’innovation peut trouver des effets de levier

C’est le syndrome de la grenouille et de la lente érosion des murs de la citadelle. Elle implique également l’abaissement des effets de barrage et de seuil à l’entrée pour les nouveaux entrants.

Deux points pour illustrer respectivement la perte de contrôle sur sa relation client mais également la perte de valeur dans le déroulement de son métier :

  • Le paiement sécurisé 3DS est mis en place à l’initiative de Visa et Mastercard. Au-delà des aspects de sécurité, il a représenté un véritable casse-tête pour la fluidité du parcours client. Mes amis du marketing ne me contrediront pas. Lorsque ce protocole rencontre des problèmes, la relation qui se détériore est bien celle du commerçant avec sa banque
  • Au niveau des paiements, notons les tentatives avortées de création de « Wallet » pour faire jeu égal avec PayPal (en oubliant le principal, le cas d’usage mais passons) chez différentes banques avec comme point final la création par Visa et MasterCard de leur propre solution respective (sans plus de succès) et l’abandon des solutions propres aux banques

Ce qui est frappant, c’est la perte de capacité à opérer sa propre ressource. Comme si disposant d’un champ de pétrole, vous déléguiez son exploitation à une compagnie étrangère… Mais cela n’arrive jamais... bien entendu.

Une galaxie de nouveaux venus

Reprenons notre histoire avec une accélération notable sur les dix dernières années et l’apparition de nouveaux acteurs bousculant le panorama, les « FinTechs ». Ces acteurs font du crédit, du paiement, du transfert international, du financement d’entreprises, de l’évaluation financières.

C’est une véritable pépinière d’entreprises valorisées toutes à plus d’un milliard de dollars. Des entreprises fragiles sans doute, des galions explorant de nouveaux marchés et de nouveaux leviers.

Et puis, il y a évidemment les acteurs autrement plus solides tels que Apple, Google et Samsung qui construisent leur offre brique par brique autour du paiement.

Vers l’API « Banque service » ?

La « lente prise » des services opérées par les nouveaux arrivants.

Finalement, ces acteurs s’attribuent une part de plus en plus valorisante du métier, de la connaissance client et des services à valeur ajouté. Les banques traditionnelles restant cantonnées dans le travail d’opérateur de « tuyauterie monétique ».

Se dirige-t-on alors vers l’apparition de banques nouvelles générations qui se seraient constituées par l’intégration de services auprès de sociétés novatrices et spécialisées. Ces nouvelles banques se focaliseraient alors uniquement sur l’expérience client et l’habillage de ses services auprès d’une population toujours plus connectée ?

Sans doute pour une part.

Et la confiance alors ?

Mais alors, quid du rôle central de régulateur, du rôle de tiers de confiance lié à la stature bancaire ? N’est-ce pas là une garantie de pérennité, une assurance que les murs de la citadelle ne tomberont pas ?

Adapté au domaine de l’IT, qu’est-ce qui incarnera demain au mieux la notion de tiers de confiance ? La technologie blockchain sur laquelle s’appuie la monnaie BitCoin semble tenir la corde.

Elle se définirait comme un réseau distribué de confiance et de certification. Or, c’est précisément l’une des valeurs fortes de ce secteur : La garantie, la confiance, la certification.

Cette technologie est encore jeune et doit encore se consolider mais elle porte en elle les prémices d’une nouvelle manière de contractualiser et d’établir une chaine de confiance sans organe centrale. On comprend alors d’autant plus l’émoi ou les espoirs que cela suscite.

Nous l’avons vu précédemment, des sociétés avec une posture de forteresse peuvent sortir de leur zone d’inconfort en adoptant une stratégie basée sur l’innovation.

L’industrie bancaire en a les moyens financiers, à elle d’en trouver la volonté !


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